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Les gravures rupestres Jdaid – Taouz Maroc

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Les gravures rupestres Jdaid – Taouz Maroc

Les gravures rupestres Jdaid – Taouz Maroc

Les gravures rupestres sont une matière première très riche qui permettent d’écrire l’histoire. Ces documents rupestres qui remontent à des milliers d’années sont des vestiges et des indices de l’existence humaine dans une telle région. Quant à la région de Bani-Dra, en précis les territoires de la province de Tata (Sud marocain) occupés par la montagne de Bani et l’Oued Dra, contient environ 80 sites rupestres de grande importance. Nous citons comme exemple : Adrar Metgourine, Tircht, Tiggane, Ighir Ighnain, Melalg, Imaoun, Adroum, Tachoukalt…. Des sites visités et étudiés par des chercheurs étrangers depuis l’époque coloniale, tels que : O. du Puigaudeau et M. Senones, R. La Fanechere, H. Lhote, A. Rodrigue, A. Simoneau. Ce dernier a affirmé qu’avec le Haut Atlas « … Draa Moyen et Yagour (Haut Atlas) méritent d’être étudier comparativement de point de vue de la néolithisation, car se sont les deux ensembles rupestres les plus importants au sud de Marrakech ».

Mais malgré tout ce qui a été édité, il est insuffisant pour savoir plus sur le contenu de ce patrimoine national qui pourra porter plus de détails sur l’homme réalisateur comme artiste et comme narrateur qui avait décrit de sa façon son environnement et son mode de vie.
Pour savoir l’importance de ces gravures dans le domaine de l’écriture de l’histoire, nous allons faire un passage chronologique sur l’histoire de la région Bani-Dra d’après les analyses et les interprétations des contenus des gravures par nos chercheurs cités L’histoire antique extrait des gravures est divisée chronologiquement en plusieurs périodes.

Mais malgré ces efforts cette division pose parfois des problèmes surtout la séparation entre les unes et les autres en ce qui concerne sa datation approximative et ses caractéristiques.

La période des chasseurs

Les figurations rupestres appartenant à cette période sont presque dominées par la faune sauvage : éléphants, rhinocéros, girafes, autruches, antilopes… , Les bovins sont très rares.
Le chien quant à lui est présent au milieu des chasseurs pour la défense et pour la chasse à la poursuite des animaux sauvages. Les pièges et les flèches sont aussi des moyens de la chasse pour attaquer les proies. En plus, nous voyons la présence de divers symboles en plusieurs formes : spirales, labyrinthes, cercles, serpentiformes… interprétés comme pièges surtout quand ils sont associés aux animaux, ou comme des symboles qui ont un aspect et un rôle religieux et spirituel.
Quant aux anthropomorphes, l’homme était présenté comme chasseur de la faune sauvage en les attaquant par les arcs, les flèches, les haches polis… L’habit de l’homme, constituait d’un étui phallique tenu par une ceinture qui supporte à l’arrière une queue d’animal, A.Simoneau a affirmé que « Les Egyptiens prédynastiques et leurs voisins de Libye se contentent d’un étui phallique, tenu par une ceinture qui supporte à l’arrière une queue d’animal : Ce costume de « sauvage » qui disparaît de la basse vallée du Nil au début de la monarchie pharaonique, persiste chez les Libyens pasteurs de la steppe désertique qui n’ont pas changé de genre de vie ».

L’apparition de quelques figurations des bovins au milieu des chasseurs a été interprétée par A Simoneau que nous sommes dans un milieu des chasseurs-pasteurs où se mélangent les deux cultures, c’est-à-dire que nous sommes dans un milieu de passage de la chasse à la pasteurisation et la domestication. Pour la majorité la datation de cette période serait antérieure à 3000 avant J.C., car depuis cette date commença la période bovidienne c’est à dire le début du néolithique au Sud Marocain.

La période bovidienne

Au contraire de la période précédente où la faune sauvage est omniprésente, la période bovidienne avait connu une prédomination des figuration des bovins (vaches, bœufs, buffles…) présentés avec des détails, absent au milieu des chasseurs, tels que les mamelles pour les femelles le membres sexuels pour les mâles, des vaches à genoux (Tighzdarin à Assif n Tmanart), d’autres avec des pendeloques au col (Tachoukalt à Imougadir)… tous ces détails nous donnent le sens que l’homme avait à cette période commencé l’élevage des bovins. C’est le passage à la domestication et la sédentarisation.

La représentation de plusieurs figurations dans une seule roche et « les décors serpentiformes sont peu réalistes et suggèrent peut être des serifications ou des ferrades d’appartenance à un troupeau », parfois ces bovidés « portent des pendeloques… Ces attributs ont parfois été interprétés comme amulettes, des clochettes ou plus simplement des fanons… les bœufs sont souvent en fait des taureaux, soit parce que le sexe est dûment représenté ». Les traits qui traversent les corps sont aussi interprétés comme des cordes qui attachent des bagages c’est-à- dire ils sont utilisés comme moyen de transport. Alors nous sommes dans un milieu de domestication où l’homme est très prés des animaux comme éleveur.

Cette domestication a commencé dans un milieu sauvage avant l’apparition du « bœuf
monté » c’est « Le bœuf rituel ». « Il semble donc que sur le Draa moyen, le bœuf se soit adapté à un milieu semi-sauvage…nous n’avons ni bœuf porteur, ni bœuf monté, ni char à bœufs… nous sommes donc au stade du bœuf rituel, entre le bœuf sauvage et le bœuf porteur… Cette domestication originelle, mal assurée, provient de l’arrivée tardive de bovidés domestiqués sur le Draa… ». En revanche, le bœuf monté (4 exemples à Adrar Metgourine Akka) représente une époque évoluée de la domestication où l’homme les a exploités comme moyen de transport avant l’apparition du cheval et du chameau. Ce bœuf monté est daté à Akka (Sud Marocain) de 2000 avant J.C, ce qui veut dire un retard par rapport à la datation de ce bœuf au Tassili n-Ajer (Sahara algérienne) qui remonte à 3500 avant J.C. De ce point de vue, la néolithisation au Sud marocain serait de 2500 avant J.C. par rapport au Tassili où elle remonte à 4000 avant J.C.

Il est aussi évident que « les pasteurs des bovidés, d’origine saharienne, ont atteint le Sud marocain ». Ce qui veut dire qu’il y avait une relation permanente entre le Sud marocain et le Sahara central (Tassili). De leur part, O du Puigaudeau et M Senones annoncent que le groupe bovidien se précise au cours du deuxième millénaire avant J.C. Et c’est là où nous avons vu le chien comme un moyen de défense et de chasse, il était aussi à côté des bovins, « … l’un des animaux domestiques qui avaient un grand rôle dans la vie de la population du Sud

marocain ». « La néolithisation du Sud marocain est donc tardive : la vague bovidienne du 3ème millénaire touche au monde encore mésolithique : l’élevage commence alors dans le Sud marocain, mais le pasteur se modèle sur le chasseur qui conserve ses caractéristiques essentielles ».

L’homme est apparu dans ce milieu couvert des peaux animales comme habit (exemple à Tamggert n tâyyalin Akka), parfois il a porté ce qu’on appelle la plume libyenne symbole de prestige chez imazighen .

En fin, malgré la domination bovidienne sur les figurations, il y a une présence de quelques caractéristiques de la période précédente (rhinocéros, éléphants, autruches…), ce qui veut dire que l’homme n’avait pas tout à fait changé son mode de vie.
D’ailleurs, il faut signaler que « La région de Dra- Bani fut refuge pour les chasseurs sahariens, les chaînes atlasiques, la proximité atlantique ont longtemps maintenu dans les vallées de piémont une humidité suffisante pour la grande faune. »

Mais avec la dégradation du climat vers la sécheresse, la majorité de ces animaux avaient quitté la région en gagnant d’autres plus humides telle que le Haut Atlas.

La période des chars

Pour H.Lhote, cette période est indubitablement bovidienne tardive car les figurations des chars existent toujours dans un milieu bovidien, ils ne sont jamais accompagnés d’homme ou d’animaux, ce qui pose un problème de connaître l’animal utilisé pour les tirer. De son côté, G.Camps a constaté que ces chars au Sud Marocain et même dans l’ensemble du Maghreb ne sont pas destinés ni au transport ni à la guerre, ils témoignent du prestige de quelques personnages ou d’un groupe particulier. On suppose aussi qu’ils ne sont que des signalisations routières gravées par des voyageurs au passage afin de repérer leur route pour faciliter leur retour ou pour guider d’autres voyageurs.
Mais la découverte de huit chars gravés au site de Tircht (Assif n Tmanart) par O. du Puigaudeau et M.Senones « apporte un nouvel argument en faveur de la théorie de R.Mauny qui fait passer une de ses pistes de chars par l’Oued Tamanart ». Sachant que « …R.Mauny a établi le tracé du parcours occidental de ces chars depuis Figuig, 142 jalonnent une route qui passe par Taouz, Foum El Hassan, le Zemmour, l’Adrar Tmar, le Tagant, le Dhar Tichit, Walata et aboutit au Mali, à Tondia prés de Goundam. Un embranchement reliait à l’Atlantique le carrefour de oued et de pistes de Foum El Hassan, par Douroudi, Timguilcht et Tafraout, sa tête de ligne est à Biougra… ». Mais G.Camps a critiqué fortement quelques cartes qui essaient de tracer des routes des chars surtout dans des régions montagneuses difficiles à traverser.
Par contre R.V.Valleverdu croit que les chars de Tata accompagnent le parcours occidental dirigeait vers les régions Subsahariennes au milieu du I millénaire avant J.C.
« Les Ait Ou Mribet n’ont pas perdu tout souvenir des Carthaginois, qu’ils appellent Fniks, Phéniciens. Une de leurs traditions leur attribue la construction de l’Agadir au sommet de la montagne…c’est pourquoi, disent-ils on l’appelle encore Agadir n Fniks…Ces Carthaginois ayant remonté le Drâa dans leurs conges, venaient dans l’intérieur pour échanger ce que nous appellerions leur pacotille de traite -céramiques, verroteries, étoffes et parfums- contre des céréales, de l’huile, des peaux de bêtes sauvages et surtout l’ivoire des éléphants et les cornes de rhinocéros… ».
On croyait aussi que ce parcours occidental était très important que le parcours oriental qui passait par Tassili. Il pourrait être le même parcours qui serait utilisé avec des chameaux avant l’arrivée des arabes au VII siècle après J.C.

La période chevaline

Les figurations du cheval sont très rares dans l’ensemble du Sud Marocain et au Bani-Dra en particulier (2 exemples à Tighzdarin), et elles ne sont pas de grande importance par rapport à celles du Sahara Central (Algérie), où les chevaux sont associés à des chars. D’après G camps les chevaliens sont venus d’Egypte par la Libye en se dirigeant vers l’ouest par l’Atlas Saharien. cette apparition du cheval a eu lieu entre le II millénaire avant J.C. et les premiers siècles du I millénaire avant J.C. Ils ont dominé les bovidiens. Au début ils ont utilisé les chars comme conducteurs ensuite ils seraient des cavaliers. De point de vue de O du Puigaudeau et M.Senones cette période est datée au Sud Marocain du I millénaire avant J.C. « …Le cheval a fait son apparition avec les Hyksos et les peuples de la mer… ». (O du Puigaudeau et M Senones 1964, p 8). Le même point de vue est chez A.Gaudio qui a daté la

venue du cheval d’Egypte vers l’ouest d’environ 1200 avant J.C. (A. Gaudio 1992, p 5). De son côté S.Searight a daté le cheval monté dans l’ensemble du Maghreb du I millénaire avant J.C.

La période libyco-amazighe

Les spécialistes ont l’habitude de lier cette période à la précédente, car il est difficile de les séparer. .« …Le groupe chevalin qui se fondra sans limites bien précises avec le groupe libyco-bérbère » Cette période est caractérisée par les inscriptions au caractère amazighe Tifinagh, qui « …,Dans l’état actuel de nos connaissances,… ne peuvent pas être plus anciennes que 750 avant J.C. ». ces inscriptions nombreuses au Haut Atlas sont rares au Bani- Dra (2 exemples à Assif n Tmanart). Dans cette période apparaît l’utilisation des armes métalliques qu’A.Rodrigue a trouvé 40 exemples gravés au Sud Marocain.

Mais ce thème des armes métallique pose des problèmes surtout quand ils se trouvent associés à des animaux sauvages. « l’association rhinocéros-hache de métal pose ainsi un problème pour l’instant insoluble. La seule hypothèse satisfaisante serait de faire coïncider, à la fin des temps néolithiques, les pratiques tardives de chasse d’une faune relictuelle avec l’utilisation des premières armes de métal (cuivre ?) ».

Et ce qui complexe ce problème c’est que nous trouvons quelques types de haches au Bani- Dra insemblable à celles du Haut Atlas où nous connaissons qu’il a une grande relation avec l’Age du Bronze Ibérique. Le premier type à « tranchant en éventail » il est loin d’être en pierre. Par contre, le deuxième type qui est des « armes coudées » est loin d’être en métal. Le troisième type « des armes piriformes » semblables à celles trouvées sur la station de l’Age de Bronze du Haut Atlas daté de 4000 de notre ère. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que

« les centres métallurgiques du Haut Atlas… n’auraient pas été exclusivement tributaires des innovations technologiques venues d’Europe via l’Espagne ou du Moyen Orient, mais auraient été en contact avec des populations de pasteurs à armes métalliques d’origine transatlasique (saharien même ?) ».

Dans cette période l’homme est devenu cavalier armé des hallebardes, des poignards, des boucliers… Très évident au Haut Atlas par rapport au Bani-Dra où ils sont très rares. Les très grandes mains l’une des caractéristiques dans les gravures de cette période (un seul exemple a Touzirt Assif n Tmanart) datée à la péninsule Ibérique d’entre le X et le VII siècle avant J.C.

La période camelienne

Avec les changements climatiques en Afrique du Nord qui avaient permis au climat sec de se tendre sur une large partie de cette région, il est évident que les espèces des animaux allaient aussi changer et se remplaceraient par d’autres qui allaient s’adapter au nouveau climat. Alors dans ces circonstances était apparu le chameau. Cet animal est fait entrer en Egypte par les perses vers 500 avant J.C. ensuite il est tendu vers l’Afrique du Nord dés les derniers siècles avant J.C. pour qu’il soit réputé au minimum au début du IV siècle après J.C. Les figurations de cet animal tout comme le cheval sont très rares dans les gravures de la région dont nous parlons, à l’exception de quelques exemples au site rupestre de Khaoui El Ktbane (Tata). Abdellah Mezegh |

Des Vikings dans le Sud marocain?
De notre envoyée spéciale Christine Holzbauer

Avant l’islamisation du Maroc, des hommes d’Europe du Nord seraient venus, par la mer, dans le sud

du pays à la recherche du cuivre dont ils avaient besoin pour forger leurs armes. Une thèse que la découverte récente de mégalithes funéraires et de peintures rupestres semble accréditer

C’était en juillet 2001. Fatimatou Malika bent Benata avait planté sa khaïma, la tente décorée qu’affectionnent les nomades du Sahara, aux abords du puits d’Aouinet Azguer. Arrivée au plus étroit de la vallée, là où les gazelles laissent la trace de leurs pattes dans le sable, elle s’était mise à chercher un abri: le soleil cognait fort et elle craignait que son plus jeune fils ne prenne un coup de chaud. Elle avait fini par se glisser, avec l’enfant, sous l’une de ces tables rocheuses qui découpent la falaise comme autant de tranches de cake. Quelle ne fut pas alors sa surprise d’apercevoir, peints sur le plafond, des dessins dans un état de conservation parfait. Il y avait des hommes nus, armés d’un arc, dansant autour d’un bœuf – azguer, en berbère, signifie bœuf – et toutes sortes d’animaux sauvages: antilopes, bouquetins, chevreuils, félins, éléphants, autruches. Qui était l’artiste qui avait réalisé de si jolis dessins ocre rouge dans un endroit aussi peu propice à l’habitation et à quand tout cela pouvait-il bien remonter? Fatimatou était perplexe. Son premier réflexe avait été d’effacer ces peintures avec de l’eau. Elle n’avait pas réussi à les diluer. Elle avait alors senti confusément que les scènes qui se succédaient au fur et à mesure qu’elle se glissait sous la roche renvoyaient à des rites remontant à la nuit des temps.

«Là où il y avait des gravures, on pouvait être sûr qu’il y avait une mine»

De retour au village de M’seied, elle s’empresse d’alerter le khalifa Babouzaid el-Mghafri, qui, à son tour, prévient le caïd, lequel informe le gouverneur de la province de Tan-Tan. Une fois les autorités de Rabat averties, les «photos» que la nomade Fatimatou a découvertes par hasard au plafond de son abri-sous-roche commencent à susciter des convoitises. Le khalifa de M’seied, un sympathique quinquagénaire qui devint plus tard «découvreur» d’art préhistorique, informe un journaliste auteur de plusieurs guides spécialisés sur les pistes du Maroc, Jacques Gandini, de l’existence des peintures rupestres. Ce dernier, qui est en train de boucler l’un de ses ouvrages sur cette région, décide de monter une expédition. Il invite à se joindre à lui un archéologue français installé depuis près de soixante ans au Maroc, Robert Letan. En plus des peintures, exceptionnelles pour la région – jusqu’à présent, ce sont essentiellement des gravures qui ont été trouvées dans cette partie occidentale du Sahara, contrairement au Tassili algérien ou au Tibesti tchadien – ils vont découvrir, dans la partie supérieure de l’oued de Chebeika, une quarantaine de constructions et de structures mégalithiques en forme de croissants de grande dimension. La présence de ces tumulus «géoglyphes» – assez semblables à ceux inventoriés par Théodore Monod en 1948, que l’on retrouve dans tout le Sahara marocain et mauritanien – est une autre trouvaille majeure. Ces découvertes relancent les craintes de pillages. Sauf à interdire l’accès des sites aux chercheurs, le Centre national du patrimoine rupestre, à Marrakech, qui dépend du ministère de la Culture et de la Communication, n’a en effet pas les moyens de contrôler la zone. Jacques Gandini est critiqué pour avoir publié les coordonnées GPS des peintures d’Azguer et Robert Letan pour les avoir commentées dans le quotidien Aujourd’hui le Maroc… Ils se défendent, par presse interposée. «La promotion de la région, estime Jacques Gandini, prévaut sur des considérations archéologiques.» Il affirme avoir reçu l’aval du ministère du Tourisme et le soutien des gouverneurs de région pour dire tout le bien qu’il pense des quelque 350 sites préhistoriques recensés au Maroc.

A 82 ans, Robert Letan garde bon pied, bon oeil quand il s’agit de crapahuter sur des sites archéologiques. Le regard droit, la narine pincée et la casquette solidement rivée sur la tête dès qu’il sort de chez lui, ce soldat de l’artillerie coloniale, ancien combattant de la Seconde

Guerre mondiale, a passé sa vie à fouiller les déserts caillouteux de l’Atlas et de l’Anti-Atlas. «A l’époque, nous n’avions ni le confort d’un 4 x 4 climatisé ni la sécurité du GPS», se souvient-t-il. Pour ce natif de Lorraine, qui appartient à une génération d’autodidactes contrainte de quitter les bancs de l’école «pour apprendre à tuer!», l’Afrique, et plus particulièrement le Maroc, où il est arrivé en 1944, a réveillé une soif inextinguible: celle d’une quête des origines que son travail dans les mines a encore aiguisé. «Connaître l’histoire de l’humanité nous rassure, nous ouvre des voies, parce qu’elle relativise les paniques à venir, nous montre que la fin du monde n’est pas pour demain. En définitive, l’ingénieur gagne toujours sur le marchand!» insistait-il, lors d’une conférence visant à expliquer à ses collègues l’art rupestre trop longtemps sous-estimé en Afrique, alors qu’il fait partie, selon lui, des prémices de l’écriture. Son but? Aider les autorités marocaines à développer un tourisme «intelligent», qui permette de préserver les sites archéologiques tout en autorisant les populations à profiter des retombées de découvertes dont elles sont souvent spoliées ou bien les dernières à être informées. «Sans mes écrits, jamais on n’aurait attribué la trouvaille des peintures de Tan-Tan à une nomade!» dit-il fièrement. Même s’il est le premier à dénoncer le vandalisme qui met en danger ces trésors de l’humanité et qui a obligé, par exemple, les découvreurs de la grotte de Lascaut à créer une grotte artificielle pour satisfaire le public: toucher les peintures avec ses doigts; essayer de renforcer leur couleur en les mouillant; marquer leur pourtour avec un crayon feutre ou même à papier; sans parler des vols, notamment dans les tombes. «Autant d’hérésies qui me font frémir quand on sait combien le Sahara et particulièrement le Maroc ont été peu explorés jusqu’à présent!» s’indigne-t-il.

Préserver les sites archéologiques
Pour conjurer une histoire personnelle tourmentée dont cet ancien communiste qui participa aux combats syndicaux de 1936 s’est «libéré» dans ses deux premiers romans (Le Pied-Noir et Sofia, l’insoumise, édités à compte d’auteur et en vente à Casablanca), tout en menant de front des recherches historiques de longue haleine sur son pays d’adoption, «Monsieur Robert» a consacré un ouvrage entier à la protohistoire du Sud marocain. Actuellement en cours de réédition afin d’y inclure les découvertes de Tan-Tan, il réitère la thèse d’une influence scandinave sur la métallurgie du cuivre dans les montagnes de l’Anti-Atlas à l’âge du bronze. Car, en plus d’être écrivain, historien et archéologue, Robert Letan est aussi métallurgiste. Sa principale découverte, il la doit à une affectation à Irhem, dans les monts de l’Anti-Atlas, qui regorgent de mines de cuivre dans lesquelles il a mis au jour une grande profusion de peintures rupestres. «A tel point que, là où il y avait des gravures, on pouvait être sûr qu’il y avait une mine.» Pour lui, le commerce du cuivre s’est produit avant et pendant l’âge du bronze. Les «hommes rouges venus du cœur de la mer», dont parlent les anciens manuscrits hébreux du haut Draa, étaient probablement les ancêtres des Vikings, les Dan’s, qui sont venus chercher jusque dans le Sud marocain la matière première dont ils avaient besoin pour forger leurs armes. L’usage du cuivre s’est développé vers 3000 avant Jésus-Christ autour du bassin méditerranéen, contribuant ainsi à l’idée qu’une extension de la civilisation s’est effectuée depuis le Moyen-Orient vers l’ouest. Mais, avec l’épuisement des gisements, les peuples scandinaves sont venus se ravitailler toujours plus au sud, d’abord sur le site d’Almeria, en Espagne, avant de remonter le fleuve Draa (entre 500 avant Jésus-Christ et 500 après), jusqu’à Zagora, où convergeaient les lingots de cuivre et l’ambre. «L’incursion des Vikings dans la vallée du Draa ne s’est faite qu’après leur conversion au christianisme, probablement en même temps que leurs raids sur le sud de l’Espagne et le nord du Maroc. Ce qui permet aussi de dater cette mystérieuse Seita, reine chrétienne, dont parlent les manuscrits hébreux, qui pourrait être l’ancêtre des Touaregs.»

Peuple mystérieux aux yeux des conquérants arabes et des explorateurs occidentaux, les Touaregs puisent leurs origines dans la civilisation berbère saharienne. Le mythe d’Amamellen, concepteur d’une écriture propre, ancêtre du tifinagh, renvoie à une écriture

cunéiforme non sans similitude avec celle qui est exposée au Musée national, à Copenhague. Quant au mythe fondateur des femmes, il dit que la reine Ti-n-Hinan («Celle des tentes») et sa servante Takama, venues du Tafilalet (Maroc) sur leur méhari blanc, auraient trouvé à leur arrivée dans l’Ahaggar un peuple primitif, les Isebaten, avec lequel elles auraient eu des filles. Ainsi, les tribus nobles du Hoggar descendraient des trois filles de Ti-n-Hinan, alors que celles de Takama seraient les mères des tribus vassales. Selon cette légende, Ti-n-Hinan aurait été enterrée au Ve siècle, bien avant l’arrivée de l’islam dans le Sahara. D’elle, les Touaregs auraient hérité leur langue en plus d’une société matriarcale organisée selon un mode tribal.

La recherche de la berbérité, Lahoucine Faouzi, 32 ans, en a fait la clef de son succès. Pour cet explorateur originaire d’Agadir, grand amoureux du désert et de la vie nomade, le jackpot est arrivé avec la diffusion en 2001 à la télévision marocaine, pour la première fois en langue amazigh, d’un long-métrage que sa maison de production, Faouzi Vision, a produit et réalisé. «Quand j’ai proposé une série de 24 documentaires dans le cadre d’une nouvelle émission consacrée au voyage, Amouddou, la RTM (Radio-Télévision marocaine) a signé tout de suite», raconte-t-il. Le premier épisode, Mémoire de Tagmoute, qui raconte l’histoire d’un village préhistorique, véritable légende vivante à cause de la présence de pierres rupestres, de greniers anciens et du tombeau du prophète Daniel, a reçu le prix du meilleur réalisateur au Festival du Caire en juillet 2002. Grand amateur de spéléologie, Lahoucine Faouzi a fondé en 1996 avec quelques amis une association regroupant une trentaine de membres, ce qui lui a permis d’explorer un grand nombre de grottes. «Il était normal que nous nous intéressions aux peintures rupestres», explique Aziz Iguiss, président de l’association et fonctionnaire au ministère des Finances. Passionné de préhistoire, il a poussé pour qu’une émission d’Amouddou soit consacrée aux peintures d’Azguer, qu’il considère comme un «patrimoine unique pour l’archéologie marocaine». Avec la complicité de Robert Letan, Faouzi Vision a monté une nouvelle expédition à Tan-Tan, en novembre 2003. «L’initiative de ces jeunes gens est la bienvenue parce qu’elle va susciter des vocations. On manque de volontaires au Maroc pour entreprendre des fouilles», commente l’intéressé.

Des liens étroits entre la berbérité et la négritude
L’expédition s’est mise en route avec la bénédiction du khalifa de M’seied, très fier de montrer une inscription en tifinagh évoquant des temps récents où les éléphants vivaient encore à Tazzout Ouarkziz. Une fois sur place, elle s’est glissée sous les abris en plein désert, rampant du mieux qu’elle le pouvait. La diffusion de la lumière, l’exiguïté du passage, la raréfaction de l’air, tout cela formait comme un halo magique autour des fragiles pictogrammes millénaires. Robert Letan semblait avoir retrouvé la dextérité de ses 20 ans. Il était intarissable. Sous le charme, on franchissait allègrement les siècles. On s’étonnait des formes stéatopyges – le développement d’une masse graisseuse dans la région du sacrum et des fesses – des personnages représentés, la plupart nus, avec un étui pénien, dansant autour d’animaux. S’agissait-il de Bochimans en provenance d’Afrique méridionale, voire de Hottentots ou de Bantous? L’existence de barrières naturelles difficilement franchissables rendait cette hypothèse peu probable. Même si les danseurs d’Azguer confirment que, à l’instar de ceux dont on a découvert les traces dans des gisements néolithiques du Sud tunisien, algérien ou marocain, des pasteurs négroïdes auraient pu s’établir dans la vallée du Draa, restée très fertile après l’assèchement intervenu au IIIe millénaire avant Jésus-Christ.

Plus important pour Robert Letan, la présence de chars peints, qui, contrairement à ceux qui ont été retrouvés dans le Sahara central, ne sont pas attelés. Ce type de char «à traction humaine» renforce selon lui l’hypothèse selon laquelle les peintures d’Azguer seraient plus récentes qu’il n’y paraît – «une date proche du bronze final européen». Si ces chars sont essentiellement destinés au transport du cuivre, comme il l’affirme, il est alors possible de penser que ces populations (noires) ont été en contact avec des constructeurs de mégalithes de surface (les Vikings) venus du nord de l’Europe. Dans son ouvrage consacré aux Premiers

Berbères. Entre Méditerranée, Tassili et Nil, l’Algérienne Malika Hachid, directrice du Parc national du Tassili des Ajjer, affirme qu’il existe «des liens bien plus étroits qu’on ne l’aurait pensé entre la berbérité et la négritude». Selon elle, les Libyens et les Ethiopiens d’hier seraient les Touaregs et les Izzegaren-Harratine d’aujourd’hui. Les peintures d’Azguer viennent rajouter à la mosaïque humaine complexe du Sahara les juifs yéménites et les populations nordiques christianisées qui, à l’époque des métallurgistes ayant précédé l’islamisation, auraient pu contribuer au chaînon manquant de la berbérité.